A propos des kotlety Pojarsky

Carl Timoleon von Neff : Daria Pojarsky tenant un enfant. (c) Автор:  Тимофей Андреевич Нефф - Александра Смолич, amsmolich @ LiveJournal

Carl Timoleon von Neff : Daria Pojarsky tenant un enfant. (c) Автор: Тимофей Андреевич Нефф - Александра Смолич, amsmolich @ LiveJournal

Auberge des Pojarsky à Torjok, Russie, 1911 (c) Prokoudine-Gorski / Library of Congress.

Auberge des Pojarsky à Torjok, Russie, 1911 (c) Prokoudine-Gorski / Library of Congress.

Leur nom nous donne doublement matière à réflexion. '“Kotleta” vient du français “côtelette” même s’il s’agit de viande hachée. Elles existent en Russie dès le milieu du XVIe siècle, d’après le Domostroi (ménagier russe), sous l’adjectif тельное, “de chair” mais le nom de “kotlet” (котлет) est introduit dans la langue russe sous Pierre le Grand, venant directement du français ou par l’intermédiaire de l’allemand. Il semble d’ailleurs qu’on façonnait alors la croquette autour d’un petit os en forme de côtelette. Cette habitude s’est perdue mais le nom est resté.

Quand au nom de famille qui leur est attribué, il donne naissance à de nombreuses légendes. Certains font remonter leur nom au prince Dimitri Pojarski qui libéra Moscou du joug polonais.

Cependant l’histoire la plus vraisemblable, est lié à l’auberge du cocher Evdokim Pojarsky et à sa fille Daria, située à Torjok, sur la route entre St-Pétersbourg et Moscou. D’après une version populaire, Alexandre Ier se serait arrêté dans l’auberge et aurait commandé des côtelettes de veau haché. Catastrophe, plus de veau en cuisine! La fille de l’aubergiste décide de remplacer le veau par du poulet. Ainsi serait née la côtelette Pojarsky. Mais ceci est une jolie légende, il est plus vraisemblable qu’on doive la recette de la côtelette de volaille au fameux Marie-Antoine Carême, cuisinier pour quelque mois d’Alexandre Ier. Et le tsar qui a donné ses lettres de noblesse à la recette est plus vraisemblablement Nicolas Ier.

Les côtelettes Pojarsky nous entrainent en voyage dans la Russie d’autrefois, grâce au grand poète russe, Alexandre Pouchkine qui envoit à Sobolevski, son biographe, le 9 novembre 1826 son “Itinéraire” de Moscou à Novgorod, veritable guide touristique avec une recommandation particulière:

“… Déjeunez à votre guise
Chez Pojarsky à Torjok,
Goûtez la côtelette frite
Et repartez léger…”

D’après Mikhail Pavlovitch Jdanov, les deux côtelettes coûtent seulement 1 rouble en 1838. Elles figurent déjà dans les guides de voyage de l’époque. Le vicomte d’Arlincourt, surnommé en son temps le “Prince des romantiques”, dans son récit L’Étoile polaire publié en 1843, raconte avoir fait une halte dans l’auberge des Pojarky à Torjok:

Madame Pojarsky, l’hôtesse par excellence, est une de ces femmes hors de ligne, à laquelle la Providence départit de loin à loin d’incommensurables mérites. Madame Pojarsky, née dans les rangs obscurs, et dépourvue de fortune, se sentit tout à coup inspirée. Son génie avait découvert qu’un nouveau besoin se faisait généralement sentir en Russie : l’art de griller des côtelettes de veau. Eclairée à cet effet par une sorte de rayon divin, notre illustre prédestinée apparut au monde gastronome avec un chef-d’œuvre nouveau: des côtelettes Pojarsky. Bientôt la foule ébahie accourt à la petite auberge où se cachait l’immense talent; une multitude de bouches, dévorant une profusion de côtelettes; s’ouvrent démesurément pour proclamer la gloire nouvelle; et madame Pojarsky, en faisant tourner ses morceaux de veau sur le gril, commence à rouler elle-même sur l’or et sur l’argent. Deux cent mille francs sont consacrée par elle à la reconstruction de son hôtellerie. Une enthousiaste de ces faits et gestes, après avoir dégusté une couple de côtelettes, va jusqu’à lui octroyer deux mille paysans, par contrat notarié, en reconnaissance du mets dont elle avait doté la patrie. Mille paysans par côtelette! Etait-ce payer largement? Mais on lui dispute sa nouvelle propriété : il faut être noble en Russie pour pouvoir posséder des esclaves; et elle en est encore, en attendant l’issue du procès, à ruminer ses plaidoiries et à paner ses côtelettes.”

Et chez Théophile Gautier, nous trouvons également mention de ces fameuses côtelettes même si il en écorche le nom :

“En Russie on mange des côtelettes de poulet. Ce mets est devenu à la mode depuis que l’empereur Nicolas en a goûté dans une petite auberge près de Torjok et les a trouvées bonnes. La recette en avait été donnée à l’hôtesse par un Français malheureux qui ne pouvait pas payer son écot, et fit ainsi la fortune de cette femme. Nous partageons le goût de l’empereur, les côtelettes à la Préobrajenski qui mériteraient de figurer sur la carte des meilleurs restaurants.”

La recette des côtelettes à la Pojarski, parmi les plus anciennes retrouvées, est publié dans “L’Almanach des gastronomes” en 1853 par un cuisinier professionel, Ignatij Radetzki. L’ajout de pain mouillé dans le lait ou la crème est plus tardif. On doit à Pélagie Pavlovna Aleksandrov-Ignatiev l’usage de rouler ces côtelettes dans des petits cubes de pain à la place de chapelure pour réaliser la panure. Elles sont au menu du banquet russe de l’Exposition Universelle de 1867 avec le bortsch, le koulibiac et la kacha Gourievsky. La recette suivante figure dès 1861 dans le livre d’Elena Molokhovets.

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Kotlety de dinde ou de poulet /котлеты из индейки или курицы

6 personnes

Ingrédients :

  • 1 filet de dinde ou 2 filets poulets.

  • 200 gr de beurre

  • 3 cuillères d'huile.

  • 1/4 de petite cuillère de muscade.

  • 1/2 baguette

  • 1/2 verre de lait.

  • 2 œufs

  • 5 - 6 biscottes écrasées ou de la chapelure

Réserver les filets de dinde ou de poulet, retirer les veines, hacher, mettre 200 gr de beurre en petites lamelles, 1/4 de petite cuillère de muscade, sel, 1/2 baguette, trempée dans le lait et pressée. Ajouter éventuellement 1 œuf, mélanger bien le tout afin qu’il ne reste aucun morceau, faire des petites croquettes, rouler dans 1 œuf battu et la chapelure, sauter dans 2 cuillères d'huile jusqu’à coloration. Mettre dans un plat, arroser de la sauce suivante : jus de cuisson des kotlety, additionné de jus de citron, de madère, les câpres, et le verre de bouillon, faire réduire le tout. Ou arroser d’une sauce de champignons de couche ou de truffes. Servir avec des petits pois, des fèves vertes, des pommes de terre vapeur avec beurre et fines herbes, des châtaignes, des carottes ou des raves tournées, etc.
Du restant des viandes et des os de dinde ou des poulets, on peut faire pour le lendemain une soupe…

Pour la sauce :

  • 1/4 de citron

  • 5 cl de madère

  • 1/2 bocal de câpres

  • 1 verre de bouillon

 

Personnellement, je mets 2 grosses cuillères à soupe de crème fraiche à la place du beurre, j’ajoute un oignon haché finement et de l’aneth à la farce. Je fais sauter les côtelettes dans de l’huile et du beurre très chaud. Elles sont croquantes à l’extérieur, moelleuse à l’intérieur.